Discovering Byzantium

Le sort de la science grecque

Avec Ptolémée, nous sommes parvenus à la dernière des grandes figures de la science hellénistique et à la fin d'un développement intellectuel étonnant qui, à son origine, était grec. Comme nous l'avons vu, il débuta avec des philosophes qui souhaitaient comprendre le monde physique dans lequel ils vivaient. Naturellement, jamais ils ne se seraient attribué le qualificatif de scientifique - le mot, d'ailleurs, date du XIXe siècle -, mais ils auraient accepté le terme de philosophes de la Nature, du xvne siècle. Cependant, c'était bien de science dont ils s'occupaient ; non pas la science expérimentale orientée vers les mathématiques, qui est aujourd'hui la nôtre, mais néanmoins la science, une tentative de compréhension du monde de l'expérience naturelle sans recours à l'intervention divine. Nous avons retracé son histoire depuis Thaïes jusqu'à ses points culminants au Lycée d'Athènes et à la Bibliothèque et au Musée d'Alexandrie. Elle marque le premier grand effort concerté de l'homme occidental pour comprendre le fonctionnement de la Nature et cette immense réalisation fut reconnue dès l'époque de son apparition. La science romaine ne fit que consolider et confirmer la science grecque, sans y ajouter de contributions originales : les réalisations romaines furent d'un autre type. Aujourd'hui, nous pouvons regarder en arrière et voir en elle les fondements de l'idéal scientifique - la poursuite de la science dégagée de toute entrave d'ordre religieux ou politique -, et la base de notre culture scientifique actuelle. Et pourtant, il s'en est fallu de très peu qu'elle ne nous parvienne que dans une version affreusement mutilée.

La science grecque            179

II est certain que la Bibliothèque et le Musée d'Alexandrie poursuivirent leurs activités après l'époque de Ptolé-mée, encore que la recherche originale ait alors dépéri. A l'origine, la Bibliothèque s'était développée selon la réglementation de Ptolémée, qui voulait que tous les livres introduits à Alexandrie y fussent déposés pour être copiés, et elle contenait quelques centaines de milliers de rouleaux de papyrus. On a dit que la collection s'augmenta vers 40 avant J.-C., lorsque Marc Antoine fit don à Cléopâtre des 200 000 rouleaux de la bibliothèque de Pergame, mais, il semble qu'après la mort de Ptolémée, deux siècles plus tard, peu d'ouvrages nouveaux y furent ajoutés. En fait, la collection subira bientôt des dommages dus aux invasions et aux insurrections. En 269 après J-C., la Bibliothèque brûla partiellement lorsque la belle et impitoyable Zénobie, reine de Palmyre, conquit l'Egypte, et elle souffrit encore plus en 415 après J.-C., quand elle fut attaquée par des émeutiers. Il semble que cette émeute fut provoquée, ou du moins tolérée, par Cyrille, l'évêque d'Alexandrie, qui défendait l'orthodoxie contre ceux qu'il considérait comme des chrétiens hérétiques et contre l'enseignement païen. Hypatie, une mathématicienne et philosophe néo-platonicienne qui dirigeait le Musée, fut brutalement assassinée par des moines, tandis qu'une populace enragée faisait brûler la Bibliothèque. Après ces événements, Alexandrie ne retrouva jamais son prestige comme centre d'enseignement et tomba dans l'oubli total après un dernier incendie survenu pendant l'invasion islamique de l'Egypte, en 640 après J.-C. Mais, longtemps avant cette époque, les érudits avaient fui, emportant avec eux de précieux manuscrits. Comme nous le verrons (chapitre 5), c'est en Islam que l'enseignement grec fut préservé jusqu'à ce qu'il soit récupéré par l'Europe du Moyen Age.